Quand le dubstep va piocher dans la tech-house
Beatrice M. flirte avec la tech house et nous livre une selecta de 10 morceaux qui relient ce genre à la bass music
Pour ce nouveau numéro de Waf-Waf, je suis heureux de recevoir un texte de Beatrice M. producteur·ice et DJ, figure de la nouvelle scène bass music de l’hexagone, dirlo du label Bait, et membre du duo pop Beatrice Melissa. Beatrice M. est connu·e pour ses sets millimétrés remplis de tracks vrombissantes et une vision exigeante sur la musique. Adepte du 140, désignant la vague de bass music anglaise qui se vit à 140BPM, iel a récemment initié un nouvel alias (portant une perruque) et plus porté sur des rythmiques tech house : B. McQueen.
C’est justement pour parler de cette tension entre tech house et 140 que Beatrice M. active aujourd’hui son clavier. Dans son article, iel raconte comment ses préjugés sur la tech house se sont graduellement évanoui, remplacés par une passion sincère qui lui a permis de tracer des parallèles entre l’histoire de la dubstep et de la tech house. Alors, ouvrez grand vos esgourdes et videz-les de toutes les prénotions qui vous empêchent de bien entendre, vous allez emprunter un chemin rempli de wub wubs particulièrement coquins.
Dans la niche de… Beatrice M.
Les goûts fluctuent, les modes vont et viennent. Je trouve curieux que l’on puisse penser que nos goûts sont uniques, personnels et nés d'une passion authentique, alors que, comme tout le monde, nous appartenons à un mouvement de mode et nous ne pouvons pas y échapper ! Je ne pourrais pas prétendre que le fait d'aimer les coupes mullet est personnel parce qu'il s'agit manifestement d'une mode, alors est-ce que cela veut dire que je n'ai pas le contrôle de mes propres goûts ? (C’est un exemple, je ne dis pas que je suis fan des mullets).
C'est ce qui s'est passé pour moi ces derniers temps : J'ai commencé à être obsédé·e par le dubstep croisé avec la techno, ou le dubstep « techy », puis j'ai levé les yeux et j'ai remarqué que c'était en fait un phénomène global, puis j'ai commencé à regarder dans le rétro et j'ai réalisé que c'était un crossover qui faisait l'objet de recherches depuis le début du 1401 au début des années 2000 (des labels comme Tectonic, SPE:C, Osiris, Timedance, Woozy, Hotflush... ont tous commencé avec cette intention de créer une passerelle).
Plus récemment, je me suis vraiment mis·e à la tech house. C'est la sensation la plus naturelle et la plus authentique, celle de se déhancher à 120 BPM et de se laisser porter par le rythme avec un sourire coquin sur le visage. C'est mon histoire d'amour secrète avec le genre interdit (j'y reviendrai plus tard). Mais en fait, je regarde autour de moi et cela arrive aussi à beaucoup de mes ami·es musicien·nes, iels ont aussi une liaison secrète avec la tech house ! Comment une telle tendance peut-elle s'abattre sur nous d'un seul coup ? Et nous faire croire qu'il s'agit de quelque chose de personnel ?
Ce texte ne traite pas vraiment de la coalition entre la mode et les goûts personnels, mais plutôt du fait que la tech house sera peut-être en vogue cette année dans les clubs « underground », et les façons dont elle peut être connectée au dubstep, si l'on prend « tech house » au sens (très) large. Il s'agit aussi du fait que je ne peux pas m'empêcher d'étiqueter les choses et de briser le quatrième mur, ce qui risque de gâcher l'expérience de certaines personnes, mais personnellement, c'est automatique d'essayer de cartographier et de mettre des mots sur mon expérience de la musique de cette manière.
Cela dit, il me serait impossible de tracer une ligne, de documenter pleinement les frontières de ce soi-disant « crossover », un écosystème abstrait que je trouve particulièrement attractif. Et peut-être que c’est le fait que c’est indéfinissable qui rend cela si excitant. Ce que vous allez lire sera plutôt d'une liste de références / d'un patchwork de pensées.
Mon éducation musicale dans la club music a commencé avec la deep techno2 et des artistes comme Artefakt, Mike Parker, Donato Dozzy, Claro Intelecto, etc… d'un côté et la bass music3 avec des noms comme Lee Gamble, Actress, Patten, Andy Stott, etc... de l'autre. Mais il y avait aussi des artistes déjà entre les deux et difficile à ranger dans une boîte comme Beatrice Dillon ou Laurel Halo.
J'avais une émission de radio sur une webradio strasbourgeoise qui s'appelait alors ODC, aujourd'hui « Z·est radio », où je combinais ces sélections de bass music leftfield avec une troisième sphère musicale qui me passionnait : l'ambient. Cela a conduit à quatre ans de résidence, jouant des artistes comme Lorraine James, Ellll, nunu, des trucs de Night Slugs, etc…Progressivement (vers 2021), le côté bass a commencé à se rétrécir vers les sons profonds et abyssaux du dubstep, alors que je mixais aux côtés d'autres résident·es de la radio comme le duo dubstep Le Tonnerre.
La tech house m'a toujours été présentée comme une scène commerciale ringarde qui ne m'intéresserait pas. C'était le genre « nul » dont il fallait se tenir éloigné, quand j'ai commencé à entrer dans une communauté d'amateur·ices de bass music. À Z·est, iels avaient même imprimé des autocollants qui disaient « Tech House, non merci ! » avec le dessin du smiley anti-nucléaire. Je n'ai donc jamais mis mon nez là-dedans, mais, alors qu'elle me paraissait de plus en plus méconnue, j'ai commencé à me sentir attiré·e par cette zone de non-droit dont je ne connaissais rien. Des types en chemise blanche qui prennent de la coke et font du wafting4, ça me semblait être quelque chose dont j'aurais voulu me tenir éloigné·e, mais qui était aussi assez fascinant, d'une manière bizarre.
C'est alors que j'ai commencé à percevoir la tech house comme un concept plutôt que comme de la musique.
Bien plus tard, en discutant avec des gens comme K-Lone, connu pour avoir produit et joué des tracks de ce genre, tout en étant très lié avec la scène bass (voir son label Wisdom Teeth), et en lui demandant simplement « pourquoi la tech house ? », sa réponse « parce que c'est tellement bon » m'a évidemment attiré davantage. J'étais amusé·e par le fait que ça avait toujours été un truc second degré, mais que ça devenait progressivement un truc premier degré. C'est à ce moment-là que j'ai réalisé que je prenais les choses dans le mauvais sens : tout comme la dubstep a obtenu la reconnaissance du grand public grâce à la « stérilisation » de sa signature sonore, la même chose s'est produite pour la tech house (à ce sujet, voir la vidéo de RA « What Happened To Tech House? »). Il faut enlever les couches pour revenir aux racines du genre, qui sont généreusement organiques et pleines d'âme.
La découverte de morceaux de tech house ou de minimale plus anciens et plus underground a été comme une rasade d'eau fraîche. Il y a aussi tellement de choses à dire sur la tech house et tellement de façons de la définir. Je vais simplement la définir par tout ce qui se situe entre la techno et la house, avec un BPM lent autour de 120/130 et de préférence avec une ligne de basse groovy et/ou une caisse claire sur les 2ᵉ et 4ᵉ temps.
Je suis attiré·e par le penchant le plus minimaliste, les trucs chill, pas les tracks peak time. Beaucoup de morceaux ‘tech house’ (ou de ‘minimale’) ont une qualité très épurée, peu d’éléments et beaucoup de vide. Cela nous laisse la place de ressentir ce que l’on veut, comme une émotion personnelle, plutôt que de nous imposer un mood avec une musique maximaliste et teintée (un côté qu’on peu peut-être nommé “féminin” ? J’y reviendrai plus tard). La tech house a la qualité dépouillée de la techno, mais les grooves organiques de la house. Elle est également très axée sur la ligne de basse. Dépouillé et organique, profond, axé sur la basse, puissant, subtil... tout cela commence à ressembler à un autre genre que j'apprécie vraiment : le deep dubstep !
Je commençais à penser qu'il existait un mystérieux croisement tech house / dubstep. J'ai commencé à remarquer de nombreux liens, dont beaucoup ont déjà été explorés. Les adeptes du dubstep semblent avoir cherché l'inspiration dans d'autres genres lorsque la 140 a atteint un cul-de-sac dans les années 2010 et a commencé à prendre de l'ampleur aux États-Unis. J'ai rencontré Appleblim, une figure absolument clé de ce crossover et il me racontait comment des artistes comme Martyn, 2562, Shackleton... avaient ce son plus « féminin », pas la vibe « bro-step », ça s'en éloignait déjà, apportant de nouvelles influences parce qu'ils en avaient marre de la caricature que ça devenait et qu'ils avaient envie de jouer avec les codes.
Le baron du dubstep Pinch nomme littéralement un morceau « Croydon House » parce qu'il a la palette sonore du dubstep mais le BPM de la house (il est sorti en 2010). J'ai découvert plus tard que ce type de dubstep avait déjà été nommé : Post-Dubstep ! C'est peut-être un autre nom que ce texte aurait pu porter. Voici quelques liens clés que j'ai remarqués et qui relient le dubstep et la tech house, pour commencer :
L'équilibre entre le ludique et l'entêtant.
La tech house est l'équilibre parfait entre le fun et le sérieux, car je pense souvent que la deep tech est trop sérieuse. La tech house peut être drôle/coquine, mais aussi très entêtante, son caractère répétitif peut conduire à un état de transe. De la même manière, le dubstep, qui a sa propre personnalité sauvage, peut facilement basculer vers des « WAB WAB » agressif/clownesque, mais lorsqu'il est plus profond, il est très immersif, même si ses « wob wobs » restent fripons.
Croydon.
Pour en revenir à la vidéo de RA sur « What Happened To Tech House? », on y apprend que son foyer spirituel est Croydon. Et nous savons que c'est de là que vient le dubstep ! Les aimants se rapprochent.
Commercialisation à la fin des années 2000.
La tech house a pris de l'ampleur (commerciale) et on pourrait dire que c'est ce qui l'a « ruinée », ou du moins qui a ruiné sa réputation. Il en va de même pour le dubstep, que la plupart des gens connaissent grâce à Skrillex. Ces deux genres très spécialisés et de qualité ont été victimes de leur propre succès. (même si on pourrait dire la même chose pour beaucoup d’autres genres.)
Il m'est difficile d'exprimer mon goût nouvellement développé pour le 4/4 en club, car je suis souvent programmé·e pour des soirées ‘140’ plus syncopées. Cela m'a fait réaliser que la plupart des soirées sont marquées par des genres spécifiques, et il y a une division assez nette entre la scène ‘bass’ et la scène ‘house/techno’ en 4/4. La douceur de la scène tech house ne fonctionnerait pas lors d'une soirée bass ? Mais que se passerait-il si on essayait de combiner les deux ? J’ai commencé à tester une formule dans mes sets qui est de commencer à 140 et progressivement ralentir, atterrir sur une rythmique 4/4 et amener le public à danser sur des morceaux de tech house, sans totalement comprendre comment iels en sont arrivés là.
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