Plongée dans l’héritage de Sherine Abdel Wahab
Emilie Maksaymous décortique un projet de Qow centré autour de la chanteuse égyptienne Sherine et vous recommande The Funambulist, Bye Bye Tiberiade et Barbes Blues.
Pour ce nouveau numéro de Waf-Waf, je suis heureux de publier un texte d’Emilie Maksaymous, musicologue et journaliste basée à Marseille, en voie de spécialisation dans les musiques noire américaine (soul, neo-soul, r&b) et les productions du Moyen-Orient. Vous pouvez lire ses mots dans les pages des magazines Soul Bag, pour qui elle a interviewé et chroniqué la figure du R&B de Détroit JMSN, et Mort aux rats, où elle a chroniqué la scène underground égyptienne post-2011. En ligne, vous pouvez profiter de ses analyses glissées dans les colonnes de The New Arab ou de Gather, et écouter ses productions sonores pour Radio Campus (avec l’émission Des souterrains arabes) et Radio Flouka via la série Hekayet w mazzika.
Pour Waf-Waf, Emilie Maksaymous se penche sur un disque du producteur Qow (Omar El Sadek), artiste audiovisuel parfois qualifié de designer sonore et convoité par des festivals d’avant-garde comme Rewire ou Unsound. Dans le disque du jour, Qow fouille dans l’héritage de la voix pop égyptienne Sherine pour y disséquer les émotions qu’elle transmet au cours de son œuvre. On y ressent - pêle-mêle - l’amour, la douleur, la tromperie, la frustration, et donc forcément, on n’en ressort pas indemne.
Dans la niche de… Emilie Maksaymous
Souvent survolées, car incarnant une “métamorphose de la musique arabe s’étant convertie aux codes occidentaux”1, rares sont les popstars arabes sur lesquelles une attention est portée au-delà du divertissement. ElMosameh Sherine de Qow met en évidence la puissance émotionnelle de ces chanteuses, méprisées académiquement, médiatiquement et par les publics plus classiques, car signataires d’une musique pop, parfois même décrites comme étant une “trahison” à l’héritage politique de la chanson d’Oum Kalthoum.2
L’attachement du public pour des artistes comme Sherine est donc nourri par une connexion sentimentale, rappelant que parfois, ce qui compte n’est pas d’avoir une proposition systématiquement révolutionnaire dans son propos et ses sonorités, mais d’être entendu par autrui. Que l’on puisse s’identifier à ses mots et se perdre dans sa voix. À elle seule, Sherine Abdel Wahab, a incarné une vision, ou des visions, de l’amour, tout en devenant une des artistes de pop égyptienne les plus importantes des années 2000. Comme de nombreuses artistes au parcours similaire, elle commence à chanter enfant, se démarque dans une chorale puis est repérée par Nasr Mahrous à la tête du gigantesque label Free Music. En vingt-cinq ans de carrière, elle a rassemblé des centaines de millions d’auditeur·ices, a joué dans des films et séries à succès, et performé dans le monde entier.
La popularité monstrueuse de Sherine est cependant teintée par les nombreuses polémiques sur sa vie amoureuse et des disparitions régulières des radars depuis 2022. Un facteur commun avec son choix de chanter un amour dans toutes ses contradictions, souvent ponctué de déceptions par les hommes et de son désir d’émancipation. Au-delà de sa voix magistrale et de sa maîtrise de traditions vocales arabes comme le tarab et le mawwal, Sherine a su transmettre le tourment de l’amour. Ce qu’on retient, en plus de ses hits dansants, c’est le lancinement de sa voix sur fond de notes de violons et paroles dramatiques. Des compilations de « moments drôles » de sa carrière reviennent d’ailleurs souvent à ce point : Sherine est une grande amoureuse et place ce sentiment au centre de sa vie et sa musique.
ElMosameh Sherine plonge dans la carrière de cette artiste en proposant une succession de morceaux d’ambient à l’intensité progressive composés par Qow à partir de samples de Sherine. En partant de ce travail de découpage, le producteur a composé un récit sonore autour de la reconstitution du sentiment de rupture. Alors que l’on attend la fin des boucles vocales tout au long du projet pour pouvoir enfin reprendre son souffle, celles-ci s’interrompent brutalement et disparaissent dans un nuage de pathos. Les synthétiseurs étirés, lents et réverbérés manifestent quant à eux une attente déchirante, sentiment qui, selon les mots de Qow ou Omar Al Sadek de son vrai nom, lui a été transmis par sa mère et Sherine.
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