Dans La Niche de... Juliette Soudarin
Juliette Soudarin médite sur le pogo et vous recommande le festival Wide Awake, le film Riddle of Fire et d'embrasser l'adolescent·e fan en vous.
Pour ce tout nouveau numéro de WAF-WAF, j’ai le plaisir de recevoir Juliette Soudarin, reporter-journaliste qui enquête sur ces artistes qui émergent après leurs 30 ans pour Libération, sur le retour de la Tumblr Girl pour Slate (chez qui elle a signé une super série sur les fans) ou s’interroge sur l'état des genres musicaux dans les pages de Tsugi. Elle a aussi tendu le micro à une flopée d’artistes et de figures de la scène culturelle actuelle (Black Country New Road, Katy J Pearson ou le Média XY), produit un podcast sur la fan culture avec l’artiste/chercheuse/DJ Kahina At Amrouche (à venir en janvier) et a cofondé Emo Tie Girlz, collectif qui organise des soirées terriblement funs faites de blind tests, karaoké et DJ sets. Courez-y.
Aujourd’hui, Juliette Soudarin secoue les lignes de cette publication en méditant autour d’une pratique : le pogo. Former un cercle, attendre un temps fort, se rentrer joyeusement dedans… si vous êtes des chevronnés de concerts et festivals, vous l’avez forcément rencontré, ce pogo - mais que vous a-t-il évoqué ? Une soupape pour se défouler ? Un écueil à éviter ? Quoi qu’il en soit, quand il est là, il faut batailler. Batailler pour y prendre part, pour le fuir, ou comme l’explique Juliette dans son texte, pour le faire évoluer vers des modèles plus sûrs et sains.
À propos de pogo
Il y a quelques années, je m’essayais dans un article - disparu depuis d’Internet - à écrire pour la première fois sur le pogo. À mettre des mots sur ce que je ressentais et percevais lorsque je pratiquais cette danse semblable à une convulsion électrique et collective d’énergie. La légende raconte que le pogo - qui consiste à sauter de bas en haut tout en se jetant sur ses partenaires de concert - a été inventé en 1976, par Sid Vicious, second bassiste du groupe punk britannique Sex Pistols, alors spectateur d’un des concerts de la formation. À l’époque, le pogo apparaissait comme une révolution. Il tranchait avec les sittings et les écoutes alanguies hippies qui prévalaient jusqu’à la fin des années 60. Depuis cette danse collective a été reprise, transformée et diversifiée, notamment avec l’émergence du mouvement hardcore dans les années 80 avec lequel est né le moshpit, cousin plus violent dans lequel les participant·es effectuent des mouvements amples avec les coudes et les genoux. Aujourd’hui, le pogo et ses variantes ont traversé les frontières des genres musicaux, se retrouvant dans les concerts de rap ou même d’électro - en illustre les walls of death1 géants organisés par DJ Snake.
Lorsque j’ai commencé à réfléchir sur le pogo en 2019, je suivais des cours de Gender Studies au Royaume-Uni portant sur le partage de l’espace public. J’apprenais alors que, de l’élaboration du paysage urbain à l’histoire des mœurs et du rituel de la cour en passant par la socialisation, les femmes ont été de tout temps reléguées à la périphérie et à l’espace domestique. L’histoire intrinsèquement masculine du pogo inséparable de celle du rock, combinée à mes lectures de l'époque, me menait à la conclusion que le pogo n’était que l’expression d’une énième forme d’occupation virile de l’espace. Ce qui se déroulait en concert était finalement similaire à ce qu’observaient les géographes dans les cours de récréation d’écoles2 : les petits garçons - ici des hommes suintant de sueur, parfois torses nus - prennent possession de l’espace central où se trouvent les jeux qui nécessitent de l'expression, les filles - ici des femmes évitant les coups et à la recherche d’un peu d’air frais - s’organisent tant bien que mal avec l’espace qu’on leur cède, à savoir les côtés.
En outre, dans ce chaos d’effluves, le pogo se trouve être le théâtre d’harcèlements sexuels, voire d’agressions. Un violent rappel à l’ordre dans lequel les femmes doivent constamment être en alerte, contrôlée par la peur sexuelle. À la fin des années 80, le mouvement punk féministe riot grrrl3 qui a émergé dans l’État de Washington aux États-Unis a tenté de sonner la fin de la partie. À coup de slogans et d’hymnes de ralliement comme « Girls to the front », les groupes incitaient les femmes à prendre possession de cet espace qui leur est hostile. Sur l’un des flyers distribués par Bikini Kill - l’une des formations pionnières du mouvement - lors de sa tournée britannique en 1993, on pouvait lire : « Ce n’est pas cool ou « punk rock » d’aucune manière que des gars se fracassent contre nous ou se frottent à nous pendant qu’on essaie de regarder un concert. [...] J’en ai marre d’aller à des concerts où je ne me sens pas du tout la bienvenue et où je suis bannie au fond parce que je suis écœurée par le pogo ou par le harcèlement ».
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