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Jungle, dans le sens du futur

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Karim Piriou de Politikon réunit continuum hardcore et théorie politique et vous recommande Jurassic Park, le trance gate et de manger des cacahouètes.

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mai 10, 2025
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Jungle, dans le sens du futur
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Pour ce nouveau numéro de Waf-Waf, j’ai l’honneur de vous glisser un texte de Karim Piriou, professeur-documentaliste et auteur du livre “Politikon : tout ce qu'il faut savoir sur les idéologies qui ont façonné notre monde”. Youtube vous a peut-être déjà recommandé une des vidéos de sa chaîne Politikon, où il décortique des théories de sciences sociales, de politique et de philo, recommande des bouquins pour bien nourrir son cerveau, et sauve les séances de révisions d’une bonne partie du corps étudiant francophone.

Pour Waf-Waf, Karim Piriou livre un texte personnel et chargé de références sonores et théoriques. Il y réunit deux univers qui le passionnent : la musique et un lien plus ou moins étroit avec la théorie politique, avec comme terrain de jeu la jungle, la drum’n’bass et les écrits de Simon Reynolds, Kodwo Eshun et de Mark Fisher. Un article qui, comme toutes les bonnes lectures sur la musique, donne envie d’en lire plus et d’écouter une flopée de disques.

Dans la niche de… Karim Piriou

Je ne saurais pas dire exactement quand j'ai entendu l'amen break pour la première fois, l'iconique pattern de batterie de G.C. Coleman samplé dans d'innombrables morceaux, peut-être est-ce sur “Ain't Talkin' 'bout Dub” d'Apollo 440, un morceau qui obsède dans la deuxième moitié des 90's mes oreilles de pré-ado. On va partir là-dessus.

Plus tard, j'ai treize ans. J'écoute en boucle les CDs "samplers" du feu magazine Trax, B.O. de mes trajets au collège, muni de mon discman fonction anti-saut. Sur le numéro 34, on trouve Photek, Roni Size, je me demande "qu'est-ce que c'est ça ?" à une époque où le terme "techno" est souvent un terme fourre-tout pour la musique électronique. Suivent des mois plus tard dans le même magazine, le remix de “The Essence” d'Herbie Hancock par LTJ Bukem, High Contrast, Roni Size encore.

Sans le savoir, je suis happé dans le "continuum hardcore", versant jungle et drum and bass. L'expression est forgée par le journaliste et théoricien musical britannique Simon Reynolds en 1999. Elle renvoie à un macrogenre, un courant musical dance aux multiples formes qui possède des caractéristiques communes. D'abord un ancrage géographique, Londres et le Royaume-Uni, puis temporel, la fin des années 1980 et le début des années 1990. Il s'organise autour de structures faites de radio pirates, de procédés techniques ou artistiques particuliers issus de la culture soundsystem jamaïcaine : la présence des MC ou encore les rewinds qui réclament le retour au début des morceaux.

Le "continuum hardcore" mêle, dans une continuité aux contours plus ou moins resserrés, la musique des raves, la jungle, la drum and bass, le UK garage, la bassline, le dubstep, le grime, etc. et toutes les variations possibles de ces genres tant qu'elles jouent sur le breakbeat, ou du moins quelque chose de saccadés, et que les basses, infra ou non, soient particulièrement présentes. La notion de "continuum hardcore" a fait l'objet de débats intellectuels et même de son symposium dédié en 2009 à l'Université d'East London. Pour Reynolds lui-même, l'abandon progressif des référents soundsystem ou reggae, le déclin des radios pirates, a signé depuis les années 2010 la fin du continuum. Les genres restent, mais quelque chose semble s'être évaporé.

Entre temps, en 2007, est paru Untrue, le deuxième album de Burial - artiste spectral du continuum - et j'ai commencé des études de philosophie. Passionné de musiques électroniques, de philosophie plus tard spécialisé en politique, je ne fais pas de lien d'emblée entre ces domaines. J'ignore alors, qu'outre-manche, dès les années 1990 l'hybridation entre théorie et musique jungle s'est déjà produite, notamment au sein d'un collectif britannique d'universitaire, le CCRU (pour Cybernetic center Research Unit). Dans ce texte, je me propose d'explorer rapidement ce lien, de trouver derrière les ambivalences, ce qui pourrait être une forme d'élan utopiste musical et politique.

Comme le rappelle l'article "Penser Hardcore" de Guillaume Heuguet et Vincent Chanson dans le numéro 18 de la revue Audimat, les membres du groupe, parmi lesquels, Mark Fisher, le sinistre Nick Land, Kodwo Eshun ou encore le futur Kode9, Steve Goodman, sont particulièrement influencé dans leur approche par la musique jungle qui émerge au début des années 1990. Les auteurs de l'article citent à ce propos le philosophe Ray Brasier, acteur phare du CCRU, pour qui il s'agissait de lier drum and bass et théorie, dans une dimension intellectuelle où un morceau sonne comme une "construction conceptuelle". Ici, la théorie et la philosophie est comme réalisée à partir des puissances musicales d'une sous-culture britannique qui échappe d'ordinaire aux logiques académiques. Plus encore, c'est l'effet de cette sous-culture sur le social lui-même, ses imaginaires et ses représentations, qui sont en jeu.

Avec Plus brillant que le soleil, paru en 1998, Kodwo Eshun propose une théorisation poétique, enlevée, vertigineuse de l'afrofuturisme musical. Le courant afrofuturiste mêle science-fiction et élaboration nouvelle des imaginaires et cultures de la diaspora africaine. On y trouve George Clinton, Sun Ra, la techno de Détroit mais aussi la jungle et la drum and bass. Pour Eshun, les musiciens y sont "déjà des théoriciens pop" qui élaborent des "technoconcepts" permettant un voyage à "la vitesse de la pensée". Rien que ça.

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