Dans La Niche de... Matthieu Fontaine
Matthieu Fontaine nous guide dans les embouteillages du rap jeu et nous recommande GTA IV, Saint-Pierre d’Argençon et Abel31
Pour le premier numéro de WAF-WAF de 2025, je suis heureux de laisser le volant à Matthieu Fontaine, journaliste basé à Paris, que j’ai eu le plaisir de côtoyer dans les studios de Radio Nova quand il officiait au Nova Club de David Blot. Il réalisait aussi de super chroniques pour le magazine Néo Géo de Bintou Simporé, et a participé à la conception de la Danse Du Zèbre, un podcast titanesque orchestré par Richard Gaitet qui raconte 40 ans de radio en 40 heures. En plus de la plume et du micro, Matthieu Fontaine sait manier les platines, vu qu’il est également DJ au sein du tandem 4Matic, qui organise ce vendredi 24 janvier un beau raout au Sample de Bagnolet : l’événement 16Giga, qui invite rappeur·euse·s et DJs à s’associer le temps d’un live.
Celleux qui savent ce à quoi “4matic” fait référence l’ont deviné, Matthieu Fontaine planque un passionné de mécanique derrière son apparence de journaliste/DJ mordu de son. Une passion qui lui permet d’apprécier une dimension toute particulière du rap game : l’amour inconditionnel que portent les emcees à l’endroit de leurs bagnoles. Dans son texte, notre mécano se demande ce que deviendront sur les gamos bruyants, imposants, fumants alors que les véhicules éléctriques se démocratisent, ou plutôt : il y aura-t-il un “Ma Tesla” en héritage de “Ma Benz” ?
Je roule donc je rappe : réflexion sur le “Gros Gamos”
28 décembre 2019. Alors que la décennie 2010 vit ses ultimes heures et que l’Amérique tout entière suit jour après jour le feuilleton de la procédure de destitution de son Président, c'est ce jour-là qu’a choisi le géant du Rap de Houston Travis Scott pour publier, par le biais du side-project Jackboys, le clip de son morceau "GANG GANG". Esthétiquement, c’est un petit tremblement de terre dans le monde paisible du gamos game - dont la devise se résume facilement à « toujours plus gros, toujours plus vite, toujours plus fort ».
En cause ? Le premier rôle donné à un Monster Tru… pardon un “Cyber-Truck”, dernier-né Mad Maxiesque de la lignée Tesla. Un monstre futuriste de 3 tonnes d’acier brossé certes, mais un monstre électrique, accompagné de son cyberquad, électrique lui aussi. Une prise de guerre hautement symbolique pour Elon Musk, qui, 4 ans plus tard, hissait sa firme au rang de premier constructeur mondial de voitures électriques : une voiture électrique sur cinq vendues dans le monde en 2023 était une Tesla.
Silence, ça ride
À défaut de voir des Tesla évincer, sur routes comme sur textes, les gamos “historiques”, principalement allemands - Mercedes AMG, Audi RS, Porsche, Béhème, s'électrisent à leur tour. La marche est irrémédiablement en cours, sans bruit, et bientôt sans conducteur non plus. À San Francisco, ils ont déjà disparu dans de nombreux Uber. Un paradoxe au pays de la bagnole, qu’observe avec fascination Alain Damasio dans son dernier essai Vallée du Silicium : “Dans une société qui entend tout dématérialiser, jusqu’à la sensation physique d’une caresse, ta voiture soude ton dernier corps. Alors tu fais corps avec elle, pour ne pas partir en pixel”. Ou autrement dit par le rappeur PLK - dans une vidéo du youtubeur GMK à propos de son (audi) RSQ3 : « c’est peut-être l’une des dernières générations qui fait un peu de boucan, mais on n'est pas à l’abri qu’ils nous sortent une version électrique. Et ça me fait chier ».
Mais pourquoi ça le contrarie tant ? Nicolas Pellion, journaliste spécialiste du rap américain et auteur (avec Mohamed Magassa) du très beau livre L’enfer sur terre, une décennie de rap fiction, voit tout simplement dans la voiture, « au même titre que l’arme à feu, un artéfact constitutif de l’idéologie américaine - libérale et individualiste. On ne se rend pas compte à quel point elle fait partie intégrante de la culture rap américaine. On cite souvent les lowriders du rap de la côte ouest, mais quasiment chaque scène rap locale a développé sa propre culture de la bagnole”. Chaque scène rap tout court même.
Touche pas à mon gamos
Pas de G-funk sans lowriders, pas de Booba sans Féfé, pas de Jul sans T-max, bref pas de rap sans gros gamos. Qui n’a pas rêvé enfant de conduire la Peugeot 406 blanche du film Taxi dans les rues de Marseille, la FF à fond dans l’auto-radio ? Moi, si. La bagnole dans le rap, c’est la liberté, c’est la puissance, c’est la réussite, c’est la police, c’est les go-fast, c’est la frime, c’est la séduction, c’est la solitude, c’est la mélancolie, c’est hier, c’est demain ? Non. Le gamos souffre. Légalement évidemment, avec les politiques, urgentes et nécessaires, de réduction de gaz à effet de serre imposées aux constructeurs. Et forcément, symboliquement aussi. La voiture thermique individuelle, incarnée par son descendant bodybuildé “SUV”, clive violemment, d’une manière inédite depuis sa création, au point de former des camps difficilement réconciliables.
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